15. Pourquoi nous voyageons

15. Pourquoi nous voyageons

août 2nd, 2013
03. Argentine

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 A huit heures du matin, Clara m’attendait déjà à la porte de la maison de mon oncle. Un sourire franc, celui qui sait que la journée va être belle, et nous sommes montés sur la moto.  Il faisait un peu froid, et elle a mis ses mains dans les poches de mon blouson. C’était la première fois qu’elle montait sur une moto en dehors de la ville. A la sortie de Tucuman, lors de la première accélération, j’ai senti son appréhension à sa façon de se serrer un peu plus fort contre moi. Son visage dans ma nuque, ses seins dans mon dos, ses bras autour de mon ventre.

  Je crois que j’ai acheté Parkinson en imaginant ce genre de moments.

  Nous avons roulés quelques dizaines de minutes dans ce brouillard de cendres permanent qui flotte autour de la ville à cause de la canne à sucre qu’on y brûle, et un moment, au hasard d’un virage, le soleil est enfin apparu, et nous avons vu au loin la montagne.  La route droite au milieu des champs a commencé à monter en lacets, la végétation s’est faite plus dense et variée. En ralentissant, j’ai senti Clara se détendre. Nous nous sommes arrêtés pour boire le maté, cette sorte de thé sud américain. Elle a sorti le thermos de son sac, et commencé son petit rituel avec application.

  Je crois que c’est l’une des premières choses qui m’a séduit chez elle, en dehors de son physique. Ce sérieux avec lequel  elle préparait le maté que j’avais remarqué lorsqu’elle m’avait invité à en prendre au parc un dimanche après-midi.  L’attention qu’elle donnait à l’ordre des mouvements, aux rôles de chacun, au fait que je comprenne l’importance de cette tradition dans la culture argentine. Nous l’avons dégusté  en nous réchauffant petit à petit de l’heure de moto qui venait de passer, puis nous sommes repartis.

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  Quelques kilomètres plus loin, des ouvriers nous ont arrêtés. La route était bloquée jusqu’à midi, le temps de finir les travaux sur un tronçon. Nous nous sommes assis sur le parapet au bord du précipice et avons attendus paisiblement que le temps passe. Je me suis couché sur ses genoux pour y dormir un peu. Les yeux fermés, j’ai senti ses mains caresser mes cheveux. Son premier geste de tendresse. J’ai continué à faire semblant de dormir, elle a continué à faire semblant de croire que je dormais. Puis les ouvriers ont terminé leur travail, Clara a retiré sa main, j’ai ouvert les yeux, et nous avons terminé la route jusqu’à Tafi del Valle.

    Aux amours naissantes le privilège de voir la beauté partout. Ce banal comedor  où nous avons mangé s’est transformé en une charmante auberge et le locro y était délicieux. Nous l’avons dégusté jusqu’au dernier bout de pain,  et sommes repartis sur la moto à la recherche d’une ballade. Elle, la tête posée sur une épaule, moi somnolent et souriant bêtement, profitant de la simplicité du moment. Nous étions dans la vallée, et sur les hauteurs, j’ai aperçu une croix qui couronnait le sommet d’une montagne. Nous avons pris la piste qui nous a amené en bas d’un sentier où nous avons laissé Parkinson.

  Désormais nous n’étions plus qu’à deux. Nous avons entamé l’ascension jusqu’à la croix. Une centaine de mètres de dénivellé. Une bonne demi-heure de marche. Nos regards qui se croisaient de temps en temps, les sourires plus tirés que dans la matinée. Une petite tension était entrain de se créer.  Nous savions tous les deux ce qui allait se passer là haut et ce n’était pas juste le manque d’oxygène qui faisait battre nos cœurs plus fort.

 Les derniers mètres étaient abrupts, j’ai escaladé en premier, et tendu ma main à Clara pour l’aider. Nous sommes arrivés au sommet. Seuls à des kilomètres à la ronde, la vue sublime sur toute la vallée, le silence absolu de la montagne, perturbé de temps en temps par le bruit d’une rafale. Au bout de quelques secondes de contemplation je me suis rendu compte que sa main était restée dans la mienne. J’ai levé les yeux, elle me regardait. L’instant d’après nous nous embrassions.

  Moments de perfection.

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  Nous sommes restés sur le toit du monde pendant un moment. Quelques dizaines de minutes, ou quelques heures. Couchés l’un contre l’autre dans ce tableau sublime. Seul le soleil qui commençait à descendre nous a rappelés que le temps ne s’était pas arrêté.

Je ne voulais pas conduire dans la montagne de nuit, ainsi nous nous sommes relevés à grand regret, et avons quitté les lieux. Nous sommes redescendus à Tucuman dans la lumière dorée du soir. Elle collée à moi, plus confiante sur le retour, le voyage nous a semblé plus court. Je l’ai redéposée chez elle, nous nous sommes embrassés une dernière fois, et je suis rentré chez mon oncle. La tête dans les nuages.

Le 4 juillet 2013

Le genre de journée qui nous rappelle pourquoi nous voyageons.

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3 Comments

  1. Canon!
    Ah l’amour en voyage… Je pourrais en écrire un livre! 🙂
    C’est tellement bon, tellement, beau, tellement fort, tellement… Tellement wow!
    Très belle histoire (et je suis convaincue qu’il y a une/des suite(s).

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