30. La Chata

30. La Chata

août 13th, 2014
05. Pérou

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Je n’aurais jamais du rester aussi longtemps à Sullana. Ce n’était qu’un nom sur une carte. Une petite ville choisie comme étape d’une ou deux nuits pour ne pas faire un trajet trop long entre Chiclayo et l’Equateur. D’ailleurs, dès mon entrée en ville, j’ai eu envie de partir. Assis quelques minutes sur le trottoir au carrefour des deux rues principales, j’y ai été accosté par un passant, puis un glacier ambulant qui voyant un innocent gringo aux yeux bleus sont venus spontanément le mettre en garde.

Eva ma couchsurfeuse est arrivée et nous avons roulé jusqu’à chez elle dans des rues dignes d’un pays en guerre. Littéralement. Presque tout le centre était creusé d’immenses tranchées de deux mètres de profondeur donnant l’impression de rouler dans Verdun. Quelques mois plus tôt, le maire y avait ordonné la réfection des canalisations, commencé l’ouvrage, puis laissé le chantier à l’abandon. Il avait promis que s’il était réélu il terminerait les travaux. En attendant, le trafic était infernal, les rues réduites à une voie envahies de mototaxis roulant dans une totale anarchie. Nous avons passé les grandes artères défoncées et sommes arrivés dans son quartier. Quelques cuadras étrangement tranquilles comparé au chaos qui avait précédé, composées des rue en terre où les portes entrouvertes laissaient entendre le générique étouffé d’une énième novela. La chaleur était telle que presque personne ne s’aventurait dehors. Tout juste quelques enfants jouant au foot, des vieillards torse nus laissant passer le temps dans l’ombre d’une entrée et à la tombée du jour, enfin quelques groupes buvant des bières autour de parrillas aux viandes grésillantes.

A notre arrivée à la maison, une bande de gamins, ses neveux, a déboulé de la rue pour m’accueillir en riant. Ils ont couru autour de nous et de Parkinson dans un joyeux brouhaha qui a contrasté avec l’accueil beaucoup plus froid réservé par sa mère. J’ai ressenti en elle une étonnante méfiance, peut-être due au fait qu’Eva m’avait demandé de me présenter comme un ami d’ami argentin, ce que je n’étais visiblement pas. Je n’ai pas posé de questions. Hormis cette bizarrerie, je n’avais pas à me plaindre, ma couchsurfeuse était on ne peut plus accueillante. A vrai dire, cela faisait plusieurs jours que nous parlions sur internet, et que je me faisais méchamment aguicher. Le petit cinéma a continué à notre rencontre.

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Elle était plutôt jolie avec sa peau mate, son nez en trompette, son joli cul, et sa grosse masse de cheveux crépus qui lui donnaient l’air d’une brésilienne. Pourtant, je n’ai pas trop su comment réagir.  Non pas qu’elle ne me plaise pas, c’est plutôt son physique très juvénile qui m’a rebuté. Tous ses potes l’appelaient la Chata, la Petite. Il faut dire que du bas de son mètre cinquante elle portait bien son surnom. Je me suis senti obligé de lui demander sa carte d’identité histoire de vérifier qu’elle était majeure.

Elle l’était. Depuis quatre mois.

La dernière fois que j’étais sorti avec une fille aussi jeune… j’avais dix-neuf ans. Je ne pouvais décemment pas gouter à ce pain là, et j’étais décidé à ne pas me laisser aller et quitter Sullana rapidement. Ca aurait pu s’en tenir à ça mais au retour de la plage, en passant un dos d’âne un peu trop vite, Parkinson a percuté la route et le pot d’échappement est tombé. J’imagine que sans ça, les réparations ne m’auraient pas bloqué sur place deux jours de plus, je n’aurais pas eu ces innombrables discussions avec elle, et n’aurais pas non plus commencé à me demander si elle était vraiment la gamine que son physique laissait supposer. En l’espace de quelques heures, je suis passé de l’indifférence à la curiosité puis à l’ébahissement. La Chata a beau n’avoir que dix-huit ans, elle a déjà vécu trois vies, et elles sont à l’image des rues dans lesquelles elle a grandies : chaotiques.

La première ne commence pas de la meilleure des manières, puisqu’à sa naissance son père décide de foutre le camp à Lima et sa mère s’en décharge. Elle est confiée à sa grand-mère qui l’élève durant ses jeunes années. Malgré quelques remous, elle file plus ou moins droit. Elles s’aiment, se considèrent comme mère et fille, finalement la vie est belle. Un beau matin, elle a quatorze ans et part au collège. A son retour, la maison est vide. La grand-mère est tombée dans l’escalier, elle est morte.

Elle devient adulte ce jour-là.

Sa mère n’a pas d’autre choix que la faire revenir, leur relation est tendue et forcément, ça commence à partir en couille. Elle se désintéresse petit à petit du collège, boit du whiskey dans les chiottes, et finit par sécher et trainer dehors. Elle rencontre des compagnons de galère, souvent des mecs. Elle aime les mecs… A l’âge où les filles rêvent encore du prince charmant, elle enchaine. A quinze ans elle a déjà compris que son corps qui n’est plus celui d’une fillette peut les rendre fous, et en pleine dérive, voila enfin un domaine où elle a le contrôle. Elle baise avec n’importe qui, n’importe comment. Elle les veut beaucoup plus vieux, avec de préférence un parfum d’aventure, de danger. Et tant qu’à faire que ça brille. Il ne lui reste que les durs.

Si elle était née en Californie, elle serait probablement devenue l’une de ces filles qui se déhanchent en string dans les clips de rap. Mais ici, à Sullana, pas de rap, tout juste du reggaeton, et certainement pas de clips. La seule manière de traîner sur le bord des piscines, c’est d’être « fille de », ou de se taper les narcos. Pas de bol, le père étant à mille kilomètres de là occupé à d’autres affections, elle n’a pas eu le choix. Quand elle entre au lycée, son mec est un dealer de dix ans son ainé, d’une des familles les plus puissantes de la ville. Le genre de types pour lequel a été inventé le terme mauvaise fréquentation. C’est avec lui qu’elle commence à parchearse, sniffer de la poudre. Trois doses quotidiennes, quatre euros. Un incroyable sentiment de puissance et enfin l’impression qu’on ne la regarde plus comme une gamine.

Sa vie devient une sale routine.  Elle baise à corps perdu, se drogue, et elle se sent tellement sale qu’elle se punit en baisant encore plus. Des relations sans lendemain pour oublier son présent. Le plaisir a disparu. Un été, elle fugue à Mancora, la station balnéaire du Nord du Pérou où les backpackeurs de toute l’Amérique viennent se perdre dans un délire permanent. Elle suit des mecs qu’elle rencontre sur la plage, partage leur errance pendant quelques semaines. Pendant un temps l’école et la famille ne sont plus qu’un souvenir. Elle s’acoquine à un autre dealer, un vrai fumier qui fait d’elle sa pute. Il lui fait vendre de l’herbe sur la plage, la traite comme une merde, mais aussi étonnant que ça puisse paraitre, elle le kiffe.  Un soir, elle monte dans un van avec des Australiens qu’elle vient à peine de rencontrer. Ils consomment tout et n’importe quoi, et voila qu’elle s’envole.

La Chata frôle l’overdose à seize ans. Elle se réveille à l’hôpital, seule, traumatisée. Son dealer n’en n’a évidemment rien à battre, il n’est pas venu la voir. La pensée qu’elle vient d’échapper par miracle à une mort solitaire agit comme un choc salvateur. Elle réalise enfin qu’il est temps d’arrêter les conneries, et rentre à la maison.

Ainsi commence sa troisième vie. Grâce à sa mère qui l’éloigne des mauvaises fréquentations, elle arrête la dope, retourne à l’école, passe on ne sait trop comment son année et entame des études. Quand je la rencontre, elle est loin d’être devenue un ange mais au moins, elle a plus ou moins apaisé ses relations familiales, est devenue clean et a changé d’amis.

Comme avec Bernie en Bolivie quelques mois plus tôt, j’ai éprouvé pour elle des sentiments contradictoires dès le départ. A la fois horrifié et fasciné par son histoire de vie, par cette gamine qui avait vécu plus que moi. C’est probablement ce qui a eu raison de ma volonté. Le deuxième soir, sa meilleure amie qui nous hébergeait est partie faire une course dont elle n’est pas revenue. La Chata a continué sa drague. J’aurais pu croire à une embuscade tellement la situation semblait faite pour dérailler. J’ai déraillé. Il faut croire que je n’en n’avais pas spécialement envie, puisque ca a été un vrai fiasco. Je me suis fait copieusement insulter, me suis couché honteux puis, pendant la nuit, par on ne sait quel miracle, mon corps s’est réveillé. Ca a été sauvage.

« Maintenant tu sais pourquoi on m’appelle la Chata »

Le lendemain, j’étais censé partir, mais évidemment, ça aurait été un peu grossier, et je n’étais plus trop sûr. Je suis allé chercher Parkinson et j’ai constaté que cette fois-ci c’était le moteur qui faisait un bruit bizarre. Suite à ma mésaventure dans le désert, j’avais paré au plus pressé, rafistolant avec des fils de fers, mais ce n’était pas suffisant. Depuis bien trop longtemps je n’avais terminé une étape sans galère. Parkinson qui m’avait tant fait rêver dans sa jeunesse fougueuse était devenue une vraie fauteuse de trouble. Suffisante pour me balader à Lima, elle ne l’était plus quand il s’agissait de traverser des zones désertiques, et encore moins les montagnes qui m’attendaient en Equateur. Cela faisait pas mal de temps que je m’en étais rendu compte, mais me refusais à l’admettre, pour la simple raison que cela signifiait qu’il me faudrait agir en conséquence : m’en débarrasser.

C’est fou ce qu’on peut s’attacher à un tas de féraille… Vendre ma chère moto paraguayenne a probablement été l’une des décisions les plus difficiles de mon voyage. J’ai décidé de laisser des annonces dans le quartier, et d’en . 1200 soles, 300€, à peine le tiers de son prix. Il faut dire qu’elle ne valait plus grand-chose, et que maintenant que la décision était prise, je voulais m’en défaire rapidement. Ca a été un bon prétexte pour rester, et même si ça semblait agacer sa mère qui avait décidé de me bouder pour je ne sais quelle raison, ça convenait à Eva qui m’a dit que je pouvais séjourner chez elle aussi longtemps que je voulais.

Pendant les jours qui ont suivi, j’ai commencé à la connaitre un peu plus, et j’ai réalisé que ses histoires passées, bien que terminées, avaient toujours une emprise sur elle. Les accidents de la route laissent parfois des blessures invisibles à l’œil nu. La Chata n’avait pas pu éviter le traumatisme crânien. A l’image des chiens qui sont restés trop longtemps dehors, elle avait développé une sorte d’instinct de survie qui la rendait compliquée à vivre. Insouciante et légère comme l’est normalement une fille de dix-huit ans, elle pouvait devenir irrationnellement méfiante, fière, ou agressive dans les situations où elle pensait percevoir une atteinte à sa personne. Elle pouvait passer du rire à la colère en un instant, pour une broutille. Un soir, dans la cuisine, elle voulait sortir, moi pas, et elle a commencé à faire monter la sauce, à lâcher les grands mots pour pas grand chose. Je l’ai regardée, cette orgueilleuse, cette petite chose sans défense, avec pour seule arme sa minijupe et son corset. Je me suis rendu compte que sa vie allait être compliquée, que le chemin était long et qu’elle n’y arriverait probablement pas. Ca m’a rendu profondément triste. J’ai failli chialer.

J’ai eu envie de l’aider, de la protéger, la guider. C’était quelque chose d’unique, que j’avais rarement ressenti pour une fille avant et qui devait probablement tenir de l’instinct paternel. Malgré la houle, j’ai décidé de maintenir la barre. Je ne voulais pas être l’énième connard qui l’utiliserait et s’en débarrasserait comme un mouchoir sale. J’ai voulu lui donner des conseils mais elle était incapable de recevoir la moindre critique, aussi bien intentionnée soit-elle. Un tel orgueil, c’en était désespérant. Elle avait la tête trop dure, du coup, nous sommes passés par le corps.

Entre mes parties clandestines dans les tripots de Piura, les sorties nocturnes dans les rues brulantes de Sullana, et la pression qui montait avec Eva, la semaine a été chaude à tous les niveaux. Aussi étonnant que ça puisse paraitre, elle avait beau avoir eu une adolescence dépravée, il lui était formellement interdit d’avoir son copain à la maison. Contrevenir à cet ordre, c’était pour moi le risque de me faire virer et elle de recevoir une raclée. On ne rigole pas avec l’honneur dans le Nord du Pérou. Contraints à la clandestinité, sans pouvoir partager le même lit, nous avions régressé au stade de collégiens découvrant l’amour, profitant d’une absence temporaire, ou d’une course dans la nuit pour nous voler une caresse ou un baiser nerveux, les yeux ouverts. Nous esquivions la mère dans la chambre d’à côté, l’oncle à l’étage, les neveux courant partout dans la maison.

Un matin, la maison était miraculeusement vide. Nous ne savions pas combien de temps nous avions, alors elle s’est assise sur moi en jupe, sans préliminaire. Les yeux dans les yeux, lentement, dans un silence absolu, à l’affut du moindre bruit. Parfois, on entendait un craquement, et elle s’arrêtait brusquement, se levait pour vérifier qu’il n’y avait personne. C’était à la fois stressant et terriblement excitant. Mais il était écrit que nous ne pourrions rien faire à la maison. Son oncle est rentré trop tôt et dans un moment de panique, elle a couru aux toilettes pour faire comme si de rien n’était. Nous n’avons pas pu terminer, la tension est montée d’un cran. Elle a commencé à m’envoyer des photos sous la douche, et nos discussions sont devenues de plus en plus… animées.

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 «  Tu sais ce qui m’exciterait ? »

Elle est dos à moi, entrain de se maquiller dans sa chambre d’adolescente. Je ne réponds pas.

« Que tu me filmes pendant qu’on baise »

Silence.

« J’ai des déguisements tu sais ? Infirmière, collégienne, ça pourrait être bien »

Je vois ses yeux dans le miroir, et elle se retourne enfin, sourit en voyant ma tête. Elle sait qu’elle vient de déclencher un tremblement de terre.

Ainsi passaient nos journées, nous nous entendions vraiment bien. A vrai dire, un peu trop bien. J’ai commencé à voir chez elle des signes de tendresse. Elle qui était sortie avec tant de mecs, qui trouvait le romantisme ridicule et ne jurait que par le sexe, voila qu’elle commençait à se montrer plus douce, à me regarder avec un air bienveillant. Dehors, elle n’hésitait plus à me tenir la main et m’embrasser. Pour moi c’était différent.

–          On ne peut pas s’attacher tu sais, je vais partir bientôt.

–          Ahaha ! Arrête de me répéter ça tout le temps, tu crois vraiment que je vais m’attacher à toi ? Pour qui tu te prends ?

Elle aurait évidemment préféré mourir que de l’admettre, mais je voyais bien qu’elle changeait, et ne voulais pas prendre le risque d’ajouter à ses problèmes un chagrin d’amour. Il était temps de partir. Je lui ai dit. Elle était d’accord. Pourtant j’étais encore là le jour suivant. J’avais beau savoir qu’il fallait que je m’en aille, mon sac restait toujours défait. Après tout, j’avais des raisons de rester, nous nous entendions bien, je m’étais attaché à elle et ses neveux, et surtout il fallait bien que je vende Parkinson. Au bout d’une semaine, je n’avais même pas reçu un appel pour l’acheter. Un soir, nous avons regardé ensemble l’un des films que je choisis lorsque j’ai besoin de radicalité, Into the Wild, et en revoyant pour la dixième fois la scène ou le héros brûle son argent et abandonne sa voiture pour être libéré de toute contrainte matérielle, je me suis rappelé qu’il avait raison, que l’argent n’avait aucune importance et n’était bien souvent qu’une excuse pour ne pas faire de choix. Je restais bloqué à Sullana pour récupérer 300 euros dont je n’avais pas besoin. Le weekend approchait, je savais qu’il fallait partir. J’ai pris ma décision. Ce serait lundi. Peu importe si la moto n’avait pas été vendue, je les quitterais.

Toutes les deux.

Dimanche était donc notre dernier jour. Elle avait la permission de minuit, et nous avons pris le bus, enfin seuls. En sortant de la ville, nous avons vu défiler les paysages secs et désertiques de la Panaméricaine. Au moment où sont arrivés les premiers puits de pétrole et les vautours, elle s’est couchée sur mes genoux pour dormir. Je suis resté éveillé pour regarder le Pacifique, Talara, son port, son odeur de poisson pourri, et la route en pierre jusqu’à la plage de Lobitos. J’ai été surpris par la beauté du lieu. Une colline avec quelques cabanes surplombant une plage immense et presque vide. Au loin quelques surfeurs. Le bruit du vent et de la mer. Relaxant.

Après plus d’un mois dans le no man’s land du Nord du Pérou, voir un endroit tellement paisible m’a immédiatement fait du bien. Nous y avons mangé une salade de fruit et sommes partis à la recherche d’un bédo. La Chata avait été une habituée des lieux en d’autres temps moins illustres, y connaissait tout le monde et chaque rencontre était l’occasion d’une longue retrouvaille. Nous n’avions que quelques heures devant nous, j’ai commencé à m’agacer de ces pertes de temps répétitives, mais après quelques lattes, toute frustration s’était dissipée dans les épaisses volutes de fumée. Ca s’est passé ensuite très vite. Nous sommes partis brusquement, complètement volados. Il parait que j’étais tellement à l’ouest que j’ai commencé à lui parler français. Et puis d’un coup, nous nous sommes retrouvés dans la chambre. Elle s’est couchée sur le ventre, j’ai commencé à la caresser, à la déshabiller. Elle s’est tournée vers moi et on a baisé tout de suite.

Malgré la capote, j’ai senti qu’elle était brulante.

Et Trempée.

Et tellement serrée que j’avais du mal à bouger.

Elle criait de temps en temps.

–          Tu as mal ?

–          Oui

–          Tu veux que j’arrête ?

–          Non, j’adore ça. Vas-y plus fort. Parle-moi en français, insulte-moi.

–          … Qué ?

–          Dis-moi des insultes en Français

Puis d’elle-même elle s’est levée, a pris la gopro et m’a filmé entrain de la travailler. Je suis devenu fou, elle aussi.

Nous nous sommes reposés un court instant, j’ai mis de la musique, pris la caméra et suis devenu réalisateur de cinéma indépendant. Nous avons tourné quelques scènes et malgré le manque de moyen, elle a offert une performance digne d’une grande professionnelle. Je filmais consciencieusement, m’imaginant dans la catégorie « pov » de mon site préféré. C’était torride. Toute la frustration qui s’était accumulée au cours de la semaine était entrain de sortir brutalement. Violemment. Au bout d’un moment, j’ai lâché la caméra, suis descendu, et ai utilisé tout l’arsenal pour la faire monter. Ca a marché. Elle tremblait, gémissait, s’agitait dans tous les sens, criait, jurait, je n’avais jamais vu une fille dans un tel état.

« ¡ No puedo con la vida!  » ( je n’en peux plus avec la vie !)

Ca m’a fait beaucoup rire, et j’ai décidé de me la jouer cruel, en continuant jusqu’à ce qu’elle n’en puisse vraiment plus. Ca a duré le temps qu’il fallait. Quand pour la dixième fois elle m’a supplié d’arrêter, j’ai consenti, et me suis couché aux côtés d’une Chata épuisée mais heureuse. Nous avions tous les deux un sourire niais sur la face, elle dans une sorte de torpeur hébétée, moi parce que j’étais plutôt fier de ce que je venais d’accomplir.

«Il était fort ce pétard non ? »

Et on est partis tous les deux d’un énorme éclat de rire. C’était tout simplement génial. Une des meilleures baises de ma vie.

Quand nous sommes sortis de la chambre, il faisait nuit. Nous avons marchés jusqu’à la terrasse où tout le monde nous regardait avec un petit sourire en coin. C’était probablement une illusion, juste des gens aimables, mais il nous a semblé qu’ils étaient tous au courant du moment historique qui venait d’avoir lieu. Là encore, ça nous a fait beaucoup rire. J’étais dans cet état qu’on ne connait quasiment qu’après le bon sexe, conquérant, confiant, ailleurs. J’étais Christophe Colomb et venais de découvrir l’Amérique.

Puis d’un coup, j’ai réalisé qu’il était vingt heures passées, et que nous venions de rater le dernier bus. Au téléphone, sa mère était furieuse. Elle se doutait bien qu’il se passait quelque chose entre nous, et elle voulait voir sa fille immédiatement. C’était évidemment impossible, il faisait nuit et nous étions à 100 kilomètres. Peu importe, nous avons pris la chambre pour la nuit en décidant de partir à l’aube le lendemain matin.

Dire que nous n’avons pas dormi de la nuit serait un mensonge. En vérité, nous n’avons pas beaucoup dormi. A cinq heures, le réveil a sonné. Pendant que la Chata prenait sa douche, je suis sorti marcher dans le sable. La plage était vide et silencieuse, le soleil se levait à peine dans un ciel magnifique, une journée parfaite pour des adieux. Je me suis retourné et l’ai vue marcher vers moi. Elle m’a souri, nous nous sommes enlacés, et sommes partis main dans la main.

A neuf heures, nous étions de retour à la réalité : Sullana, les embouteillages, la laideur. Par chance, j’ai échappé à sa mère, ce qui était plutôt une bonne nouvelle, je n’avais pas envie de l’affronter. Parkinson elle, était toujours dans le salon. Elle n’avait pas trouvé d’acheteur, et je l’ai donc offerte à Eva, comme un cadeau de départ. J’ai pris un couteau, dévissé la fausse plaque d’immatriculation puis arraché le compteur kilométrique arrêté à 16298 kilomètres (en réalité environ mille de plus à cause des diverses ruptures du câble qui le reliait aux roues!). J’ai mis le tout dans mon sac que j’ai refermé.

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Il était temps de nous séparer mon amour.

Nous en avons vécus de beaux moments tous les deux et en toute honnêteté, je ne croyais pas que notre aventure durerait si longtemps. Mais tu as été si capricieuse avec moi dernièrement, je crois que tu en avais marre. Je te laisse te reposer désormais, loin de ton lieu de naissance. Si un jour tu veux venir me rejoindre en France, sache que je t’y accueillerai toujours à bras ouvert.

Adieu Parkinson.

En fermant la porte, j’ai eu une boule dans la gorge. Eva m’a accompagné à la gare des bus. Nous y avons passé nos derniers moments, elle m’a dit que je pouvais encore rester si je voulais, et comme avec Thalia à Santa Cruz neuf mois auparavant, je lui ai dit qu’il était trop tard.

« On peut encore se voir si tu veux, je peux venir en Equateur la semaine prochaine, j’ai des vacances »

En la voyant ainsi, les larmes aux yeux, je n’ai pas eu le courage de lui refuser. J’ai bafouillé un oui, en me disant que je pourrais toujours revenir sur ma décision plus tard. Ca a eu l’air de la calmer. Le bus est arrivé, nous nous sommes enlacés une dernière fois, et je suis monté.

8 mai 2014. Après sept mois, je quitte enfin le Pérou. Et pour la première fois depuis  un an exactement, je voyage complètement seul, sans partenaire ni moto. Je suis partagé entre la tristesse des adieux, l’excitation du nouveau départ, et une certaine angoisse. Je ne sais pas comment ça va se passer, si après avoir gouté à la liberté totale que m’offrait Parkinson je ne vais pas détester les contraintes du bus. Nous verrons bien. Dans une heure, je serai en Equateur. Un nouveau pays, une nouvelle aventure.

La consolation du voyage en bus, c’est que désormais j’aurai plus de temps pour écrire. En repensant à cette dizaine de jours de folie, je sors mon cahier pour prendre quelques notes et tombe sur une page griffonnée d’une écriture féminine. Eva m’a laissé un mot, probablement pendant que je dormais au retour de Lobitos. Elle me rappelle quelques bons moments que nous avons vécus ensemble, majoritairement d’ordre sexuel, et termine sur une note plus émotive :

« Peut-être ne nous reverrons-nous jamais, mais j’aimerais que tu saches que ce furent les plus beaux jours de ma vie »

Je peux vous dire que ça fait quelque chose, surtout quand c’est la première fois. La Chata, cette petite conne pleine d’orgueil incapable du moindre sentiment. Cette excitée baisant avec tout le monde et par conséquent avec personne. Cette gamine invivable et attachante. Voila que je suis devenu quelqu’un pour elle, et qu’elle se souviendra de moi.

Chata, moi non plus je ne t’oublierai pas.

Bonne chance.

article suivant : Sisi la famille

la chata-06Illustration : http://www.marie-lys.fr/

70 Comments

  1. says:

    Bon ben ton premier like et ta première réaction viennent d’Uruguay.. Il est que minuit ici. Quelle idée de publier un message si tard :p Je sens que je vais bien aimer ton article jaja. La bise !

  2. says:

    Trop impatient, et je dois sortir :):)

  3. says:

    Je viens de terminer. Tout simplement génial. Je suis envieux hehe 🙂 In before « records de vues/like ».

  4. says:

    3eme like en direct de la Bolivie. Tu es international ^^

  5. says:

    y la versión en español? traducido pues amio 🙁

  6. says:

    Pues, es un nuevo articulo del blog… No lo puedo traducir, es demasiado complicado… Pero para compensar, hay un articulo de hace unos meses que va estar traducido por una revista argentina en pocas semanas !

  7. says:

    jaja. lo sabia, igual estoy utilizando el traductor, no pude con la curiosidad jeje

  8. says:

    Moi je sais pourquoi tu vas pas traduire. (bandit)

  9. says:

    oulalalaaa!!!! :O

  10. says:

    Ouf ouf ouf j’étais scotché pendant tout le récit!(de la part du vietouf)

  11. says:

    Superbe plume

  12. Patrick says:

    Très bien narrée ton histoire. Il faudra que tu sortes un livre à la fin. Maupassant des temps modernes

  13. says:

    C’est assez fou de rencontrer une personne comme ça. Mi-ange, mi-démon… T’en aurais fait un roman, ça m’aurait pas dérangé. Bravo!

  14. says:

    habituellement je lis tes «articles» et appuie sur like ou pas… mais avec celui-ci, obligé d’écrire pour te féliciter. c’était beau (et triste…mais beau). bravo.

  15. says:

    C’est chaud chaud chaud !

  16. says:

    Excellent ! Indéniablement, le meilleur récit, respect et merci de nous faire autant voyager. Courage pour la suite !

  17. says:

    Suivant tes aventures, je me permet de commenter ce trentième billet. Je l’ai beaucoup aimé, si bien écrit! Aux heures de cinquante nuance de grey je crois avoir ressenti ce que mon amie a ressentie en lisant ce roman de Erika Leonard! bonne route!

  18. says:

    Quel recit! Vraiment en te lisant on voit vraiment les choses on s’y croirait alors continue comme ça et un livre a la fin de l’aventure! bonne continuation…(on veut la video de la chatta mdr)

  19. Steve says:

    Magnifique… encore une fois !
    A chaque article, j’ai l’eau à la bouche à l’idée de lire le suivant…
    Ta plume prend de l’expérience et lire son fruit est un plaisir.
    Bonne route, Gringo !

  20. says:

    énorme , quel plaisir à lire !!!!!!!

  21. says:

    Génial ! Moi qui ai une vie de merde 🙂 je me suis pris a rêver l’espace de quelques lignes ^_^

  22. mad_thorgal says:

    Excellent, comme d’hab! C’est vraiment kiffant de suivre tes aventures!

    Répondre
  23. says:

    VGG juste superbe on s’y croirait!!! Tu as trouvé ta voie gringo ÉCRIS!!! Moi j’achèterai tout tes livres!!!

  24. says:

    Merci à tous !! Il est 4:39 du matin et je n’arrive pas à dormir en lisant tous vos commentaires. Merci !

  25. says:

    Merci a toi! Continue de nous faire voyager ça nous sort du quotidien de l’usine et autre…;-)

    Répondre
  26. says:

    Il est génial cet article, on s’y croirait ! Good Luck pour la suite 😉

  27. says:

    Magnifique… quelle écriture de mutant… Merci sincérement j’ai trop kiffé cette lecture c’était un bête de moment.

  28. says:

    franchement toujours un plaisir de voir un nouvel article!tu gères à fond!continue comme ça! 🙂

  29. says:

    Larme à l’œil, magnifique ….

  30. Du coup, il y a moyen de voir la vidéo … ?

    Ok, la sortie, c’est par ou ?

  31. says:

    Captivant et émouvant ! Bravo et merci !

  32. says:

    De tes récits de voyage, les lecteurs que nous sommes prennent eux-aussi le large et mettent les voiles en se perdant ça-et-là dans tes aventures pokeristiques, dans tes récitations sur l’amour, le temps ou l’humanité. On ressent, en te lisant, tous ces instants intenses que voles à la vie au rythme de tes folles aventures. C’est un kiffe absolu de te lire. Continues mec!

  33. says:

    Superbe article, j’en ai des frissons!

  34. says:

    Magnifique, bravoooooooo ça donne envie de vivre ton aventure. Bonne continuation ce que tu vis et décris est génial

  35. says:

    Juste merci…Je peux dire à présent que j’étais au Pérou, l’espace de quelques minutes…

  36. says:

    Très belle écriture ! Jolie découverte du jour pour moi !

  37. says:

    Le meilleur de tous tes articles… Sans aucun doute !

  38. says:

    très bonne fiction.
    14/20 pour l’idée du personnage de la petite nympho

  39. says:

    World Pokerotico Trip

  40. says:

    Une claque comme d’habitude ! Clairement un de tes meilleurs articles !

  41. says:

    Terrible cet article. J’ai été scotché à l’article. Je partage à mes lecteurs des demain.

  42. says:

    Tu écris vraiment bien. Notre façon d’écrire reflète souvent notre personnalité. C’est un de tes meilleurs articles plein de fraîcheur, d’émotion, de douleur, de sensibilité et de vérité. Les non-dits sont évacués et tu te dévoiles sans complexes avec plein de franchise à tout le monde. C’est un exercice difficile mais c’est tout à ton honneur. Quand on te lit on a l’impression d’y être. Le Pérou et ta péruvienne Eva tu ne les oublieras jamais crois-moi. De mon côté impossible d’oublier ce pays et l’histoire d’amour que j’y ai vécus il y a déjà quelques années. Ça reste impérissable et indélébile. Hâte de te lire à nouveau.

    Répondre
  43. says:

    Cyrille beau commentaire, merci. Content d’avoir pu te toucher.

  44. La fièvre says:

    Excellent ton article……mais quelque peu ….. Étonnant. Un nouvel angle si j’ose dire ! Je ne souhaite qu’une chose, que tu maîtrises tout se qui se passe et que cette puissance qu’ont les femmes d’Amérique latine sur les hommes (utiliser nos faiblesses lol ) ne t’emmène pas sur de mauvaises routes….. Continue a être lucide ! Bravo en tout cas pour le niveau d’écriture

  45. Anthony (Despe44) says:

    Salut Jonathan !

    Je ne te remercies pas :

    D’une part je viens de perdre ma journée au boulot à lire tous les articles du blog (les 30 donc + la galerie… je me réserve les vidéos pour le week-end).
    D’autre part, ça me donne envie de tout plaquer pour réaliser un trip similaire (le goût de l’aventure et de l’inconnu inexorablement)…

    Pour le reste, tous les articles se valent et sont d’une très bonne qualité globale !

    Une petite question me taraude : ton trip se cantonnera-t-il à l’Amérique du Sud + Central + Las Vegas ?
    Ou envisages-tu une saison 3, dans laquelle tu explorera l’Asie ou tout autre continent ?

    Enjoy, et au plaisir !

    • Hello Anthony. Perso, je trouve que les articles commencent vraiment a être interessants a partir du 10/12… Quand je relis ce que j’écrivais au départ, je trouve que c’est assez mal écrit 🙂

      Pour ta question, l’Asie est un rêve évidemment, mais je pense qu’une fois arrivé a Vegas d’ici fin 2015, j’aurai deja pas mal voyagé et je pense que j’aurai besoin d’une pause. Evidemment, ca ne rend pas impossible le fait que je fasse un World Poker Trip saison 4 après m’être reposé un temps !

  46. says:

    Un veritable plaisir de vous lire avec cette article, je vous en remercie chaudement !!!

  47. Gaston says:

    Il envoie du pâté ce texte!
    Beau récit, vivant et emprunt de sentiments.

  48. Guillaume D says:

    Ton excellente interview a club poker radio m’a donné envie de relire ce passage, et encore une fois j’ai été complètement saisi. Sincère VGG