06. Curitiba, ville européenne au Brésil

06. Curitiba, ville européenne au Brésil

mai 10th, 2013
01.Brésil

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  Les Curitibanos aiment à se considérer comme les Européens du Brésil, et même si ça agace pas mal le reste du pays qui y voit de la vanité, il y a un peu de vérité là-dessous. L’ambiance ici est différente. Des parcs et des fontaines agrémentent toute la ville et la rendent agréable à parcourir à pied. Les rues sont propres et mine de rien, après Rio et São Paulo, villes surpeuplées et polluées, ça change tout. La population elle-même est beaucoup moins métissée que dans le reste du Bresil, et en se baladant dans le centre-ville on pourrait presque se croire en Espagne.

  Je ne sais pas pour quelle raison, mais les couchsurfeurs d’ici ont particulièrement aimé mon projet, car sans avoir envoyé aucune requête, j’ai reçu une bonne douzaine d’invitation à dormir ou boire des coups. Pas mal de personnes différentes, et d’expériences marrantes. En vrac, je rencontre Cris, une architecte-prof de yoga qui me montre son école et m’offre une séance, la première de ma vie, quelques heures après mon arrivée, des profs d’anglais qui m’amènent à la version brésilienne de l’opéra, durant laquelle un quart de la salle parle à haute voix et rit à gorge déployée tandis que les trois quarts restants passent leur temps à chuinter des « chuts » plus bruyants encore. Je vais boire des bières avec une avocate, une chanteuse, une rédactrice de mag, faire une soirée poker-saucisse (lol) chez Alan, et passer avec succès le seul vrai test de langue qui vaille : me faire couper les cheveux et tenir la conversation avec la coiffeuse. Ca y est, je parle portugais!

  Je suis hébergé par Carol et Victor, lui journaliste, elle prof d’anglais. J’apprends en arrivant que je suis leur premier couchsurfeur, et bénéficie du coup de l’enthousiasme de ceux qui débutent sur le site.  Pendant cinq jours je me fais chouchouter, présenter, emmener partout. Il m’est interdit de bouger le moindre orteil quand il s’agit de préparer à manger ou faire la vaisselle. Carol m’emmène à son école de langue, je sympathise avec pas mal de profs, dont ceux de français, qui me réquisitionnent pour l’une des expériences les plus marrantes de mon séjour : donner un cours de français. J’arrive dans la classe, la prof qui me connait à peine me présente vaguement, et voila que pendant une demi-heure je discute et réponds aux questions d’une vingtaine d’élèves de 18 à 60 ans.

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A force de me présenter à tout le monde, je commence à savoir ménager mes effets, et je vais crescendo dans les révélations :

– Je suis en train de faire le tour du Monde

– Legal ! (cool!)

– Je voyage en sac à dos et en autobus

– Ohhh ! Que legaaal !

– Je fais du couchsurfing, je n’ai pas dormi à l’hôtel depuis un mois

– Waaaaaaaaaa , que legaaaaaaal!

– Je finance mon voyage en jouant au poker, et oui, ça marche

– Wahouuuuuu

  Brouhaha intense, deux élèves pleurent de joie, trois autres m’offrent des colliers de fleurs, des militaires dans la rue tirent des coups de canons, et moi, au bout de la deuxième « leçon », je quitte l’école tellement gonflé de fierté qu’une piqûre de moustique m’aurait fait exploser. Je me rends directement chez Jacques et Gloria qui m’accueillent pour la deuxième partie de mon séjour à Curitiba. Jacques, lyonnais, 70 ans, est à ce jour mon couchsurfeur le plus âgé. Après une vie de baroudeur à travailler aux quatre coins du monde, il a rencontré Gloria, brésilienne, avec laquelle il s’est installé à Curitiba depuis une dizaine d’années. Jacques est un retraité 2.0 qui regarde la télé online, écoute des webradios sur l’un de ses quatre ordinateurs, communique par skype, emploie le mot « lmao », et organise des meetings couchsurfing.

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Un personnage marrant, qui aborde absolument tout le monde dans n’importe quel endroit, et qui lorsqu’il entâme une conversation en français, ou en frantugais ne s’arrête qu’après épuisement total du sujet ou des participants. Je reste deux jours avec ce couple atypique, profitant en même temps d’un confort à la française déjà oublié : un lit deux places avec des draps qui sentent bon la lavande, des repas mijotés comme à la maison, des glaces, du bon vin et, luxe suprême, les clés de la maison pour rentrer à l’heure que je veux de mes sessions de poker.

 En plus de la saucisse/poker party chez Alan, qui était plutôt une soirée entre amis, je vais réaliser quatre soirées poker dans deux lieux différents. M’étant renseigné sur internet, je débarque seul, de nuit, à la Ligua Curitibana de poker. La rue est déserte, et le numéro indiqué n’existe pas. Je m’approche du restaurant le plus proche, et repère juste à côté une porte dérobée, avec la plaque du club. Un escalier en sous-sol, et je débarque dans une grande salle pleine de monde et du cliquetis rassurant des jetons (sisi je vous jure, rassurant)

  Je m’installe pour jouer en cash game, et repère rapidement à ma droite un joueur bizarre. Il parle beaucoup, est très actif dans le jeu, et toute la dynamique de la table semble tourner autour de lui. Au début, j’ai un peu de mal à savoir s’il est bon ou mauvais car certains de ses moves sont intéressants, puis après quelques dizaines de minutes, après l’avoir vu recharger plusieurs fois, je comprends que j’ai affaire à un énergumène… Un style hyper agressif, pas du tout scared money (détaché de la valeur de l’argent) relançant par poignées, n’ayant pas peur d’engager son tapis avec n’importe quel tirage, mettant sans arrêt la pression. Même si c’est assez impressionnant quand on est à table, la parade est relativement facile : attendre. Peu lui importe que vous n’ayez pas bougé une oreille depuis une demi-heure, au moment ou vous le ferez, il vous relancera. Et si vous le relancez, il sur-relancera. Il suffit donc d’attendre d’avoir une main un tant soit peu solide, et il fera le job pour vous.

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  Deux heures plus tard, grâce à quelques livraisons j’ai triplé mon tapis. Je serais bien resté trois/quatre heures de plus, mon mécène en pleine forme malgré la perte de plusieurs centaines de reals (j’apprendrai quelques jours plus tard qu’il est millionnaire) me demandera même pourquoi je pars si tôt, mais j’ai rendez-vous avec Carol et Victor.

Je suis de retour le lendemain, espérant la venue du millionnaire, mais je ne le vois pas, et perds un peu d’argent, rien de grave. C’est durant ma quatrième et dernière session, au CWP club, que je vais le revoir, sans pour autant jouer avec lui (en me voyant il rigole, et refuse mon invitation prétendant que je vais le « matar » ahahah). Pas besoin de lui néanmoins pour gagner des sous, le niveau des joueurs à Curitiba étant affreusement mauvais. Le poker ici ne se développe que depuis deux ans environ et faute de ressources pédagogiques (livres, vidéos, forums…) la plupart des joueurs n’ont jamais étudié le jeu plus loin que les règles de base ou pire, pensent que le poker est un jeu de chance. Etrange sensation, que de se sentir prédateur au milieu de toutes ces brebis égarées. Je suis là,  calme et détaché du jeu et de son résultat, quand eux sont euphoriques ou dépités à chaque main. Je vois heure après heure les jetons s’accumuler avec un plaisir presque coupable. Coupable, car mon plaisir est le malheur de ce reg (régulier, un joueur qui est là tous les jours) qui ne comprend pas pourquoi ce petit jeune qui avait pourtant l’air d’une proie facile l’a déjà envoyé trois fois à la caisse.  Je fais deux magnifiques soirées, desquelles je sors avec des gains comparables à mes bonnes soirées françaises (sauf qu’ici je joue à des limites 2.5 fois inférieures!).


  J’aurais aimé rester plus longtemps à Curitiba histoire de faire des économies pour la suite du voyage, mais après une semaine dans le coin, il est temps de partir. Je me suis tellement bien entendu avec Carol qu’elle m’a proposé de rencontrer son père Marcos à Pato Branco, une petite ville ( à l’échelle brésilienne) de 80 000 habitants à l’ouest. Il vit ici avec sa deuxième femme et son beau-fils dans une jolie maison. Marcos a la cinquantaine, mais en fait 35. Sa cure de jouvence me dit-il, c’est le parachutisme qu’il pratique depuis des années. Il m’accueille à bras ouvert, empiète sur son boulot pour me balader, me présente à la moitié de la ville dont Luana, la cousine de Carol avec laquelle je teste la night life de Pato Branco, qui se limite à deux bars, dont une crêperie ou le soi-disant serveur français n’en parle pas un mot. Je quitte Marcos après 2 jours, mais c’est probablement une des rencontres les plus cools que j’ai faites depuis mon arrivée.

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  J’arrive de nuit à Foz de Iguacu, à la frontière avec l’Argentine et le Paraguay. C’est ma dernière étape en terre brésilienne, et je rejoins Luiz qui m’a réservé une surprise pour mon arrivée, puisqu’il m’emmène directement à la home game de son père. Je débarque au milieu de cinquantenaires qui n’ont aucune idée de ce à quoi ils jouent, mais qui passent du bon temps à boire des whiskeys et parler affaire. Luiz n’y semble pas particulièrement à son aise. Il est là pour me faire plaisir, mais ce genre de soirées est à des kilomètres de son mode de vie, lui qui pratique le yoga, la méditation et qui a arrêté son boulot d’ingénieur pour un voyage initiatique en Inde il y a quelques années. Je passe les quelques jours à ses côtés, à jouer aux échecs, manger sainement, avoir des discussions intéressantes sur le sens de mon voyage, la direction que je veux lui donner. Il possède une moto, et nous discutons un peu de ses road trips passés et futurs. Je me rappelle que lorsque j’avais vécu deux mois en Sicile en stage d’architecture, j’avais rêvé de faire un road trip en Vespa pour rentrer à Strasbourg où j’étudiais. Le projet était tombé à l’eau par manque de temps et d’argent. Tout en parlant avec Luiz, je réalise soudainement que j’ai le temps, l’argent, et que je suis juste à côté du Paraguay, que les Brésiliens me décrivent comme le supermarché de l’Amérique du Sud, car tout y coute deux fois moins cher. L’idée germe…

  Lors d’une de mes deux sessions de poker à Foz de Iguacu, dans une sorte de centre commercial, je rencontre Jean-Ahmed (prénom modifié), un reg trentenaire avec lequel je sympathise, et qui en plus d’être un trafiquant d’instruments de musique qu’il fait passer en douce du Paraguay au Brésil, est aussi un biker. On se trouve de la complicité, et alors que nous jouons aux cartes, je lui échange des histoires d’autobus contre d’autres de moto. Le niveau à Foz est encore pire qu’à Curitiba, et j’enchaine sur deux belles soirées. Lorsque je quitte le Brésil et traverse le fleuve Parana pour me rendre à Ciudad del Este, le vis-à-vis de Foz côté paraguayen, je réalise avec satisfaction que je n’ai pas retiré d’argent depuis trois semaines, que j’ai remboursé mon voyage jusqu’au billet d’avion, et que j’ai assez dans mon sac pour m’offrir un joli cadeau…

Et tandis que nous marchons avec Richard, mon hôte paraguayen, dans la rue qui m’amène à sa maison, je lui demande :

 « Combien ça coute ici une moto ? »

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