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Dans le bus qui m’emmène de Sao Paulo à Curitiba, je viens de terminer le livre d’Alexandre Poussin et Sylvain Tesson « On a roulé sur la terre ». L’histoire de deux gars de mon âge qui ont fait le tour du monde en vélo pendant un an traversant l’Amérique du Sud et l’Asie. Petite boule dans la gorge à la fermeture de l’ouvrage, ils écrivent sacrément bien, et forcément un petit sentiment d’identification… Vingt jours après mon départ, j’ai déjà l’impression de commencer à vivre certaines des choses qu’ils décrivent. L’excitation de la route, les rencontres éphémères, la tristesse des adieux déjà nombreux. Le sentiment un peu diffus d’être en train d’accomplir quelque chose pour l’instant d’indéfinissable, mais d’important. Sentiment véhiculé par le regard des autres, leur réaction quand je leur parle de mon projet, le nombre inédit de couchsurfers qui m’envoient des invitations sans même que je les sollicite ( une trentaine rien que sur Sao Paulo et Curitiba). La dernière fois que j’avais ressenti tout ça, c’était en Egypte, il y a trois ans. Le voyage qui m’a le plus marqué. Retrouver ce genre de sensations oubliées n’est pas pour me déplaire…
Je vous avais laissés il y a quelques jours au moment où je prenais le bus pour Piquete ( on prononce pikédji ) un petit village de 7000 habitants, au Nord de l’état de Sao Paulo. Le dernier village sur la route avant les montagnes. Un vrai cul de sac. C’est justement la raison pour laquelle je l’ai choisi. J’ai rendez-vous avec Leandro à Lorena, la grande ville la plus proche. Il m’accueille avec sa mère et nous allons ensemble chez lui. Après deux semaines dans une ville bruyante et bondée, l’arrivée dans un village apaise. Des maisons à un étage, les montagnes tout autour, les hommes en chapeau de cowboy et pickup, les familles assises devant le pas de la porte, j’ai l’impression d’être dans un mélange étonnant de Sardaigne et de farwest.
Leandro a 21 ans, bosse à Sao Paulo la semaine, d’après ce que j’ai compris comme pigiste pour un magazine, et rentre dans sa famille le weekend. Famille qu’il a nombreuse, et à laquelle il me présente dès notre arrivée. On fait le tour de plusieurs maisons, ils sont tous là à m’embrasser, me prendre dans leurs bras ( on fait peu la bise au Brésil, on hug), et j’oublie immédiatement la vingtaine de noms qu’on me balance dans les premières heures. L’accueil est des plus chaleureux, et entre la mère qui nous prépare des repas pantagruéliques, l’oncle qui nous emmène en ballade sur son pickup et remplit mon verre de bière dès que j’en prends une gorgée, le père que je rencontre un peu plus tard, et qui, les larmes aux yeux ( haha wtf?) me serre dans ses bras comme le fils qui revient de la guerre, on peut dire que je suis bien traîté.
Pas grand monde ne parle anglais ici, mais le portugais commence à rentrer au bout de deux semaines. L’accent est un peu moins fort qu’à Rio, et ressemble du coup un peu plus à l’espagnol. Je connais désormais la centaine de mots les plus importants, et surtout je commence à avoir l’intuition des constructions de phrases. A chaque fois que je lache le désormais fluide » je ne parle pas beaucoup, mais je comprends si vous parlez lentement » les hommes lancent des houras et les femmes s’évanouissent, mais quand on me répond « maiiiss siiii tu parles très bien portugais » et que la véritable conversation commence, ils sont souvent trop polis pour revenir sur leurs compliments.
Le soir venu, on va rejoindre des amis de Leandro et après avoir rechargé nos munitions dans l’un des trois snack qui constitue la nightlife de Piquete, ils m’emmènent à la fête d’un ami. On y boit, on y rit, on prend des photos, j’y apprends à danser le sertanejo, l’une des danses de couple traditionnelles brésiliennes. Des bons moments prolongés le lendemain quand nous partons avec Leandro, Alex et Lais faire un tour aux alentours explorer les cascades et autres attractions locales.
Je suis à peine arrivé que le weekend est déjà terminé, et je fais mes adieux à tout ce beau monde. Je quitte Leandro à la gare routière et me dirige vers Ubatuba, à quelques heures de bus, où m’attend Gabriela. Cette couchsurfeuse de 24 ans, étudiante m’avait contacté pour m’héberger à Sao Jose dos Campos, une ville au nord de Sao Paulo. Ayant eu la bonne idée de ne pas prévenir ses parents avant de m’envoyer le message, elle m’a réécrit quelques heures plus tard pour annuler, mais m’a proposé à la place de la rejoindre dans sa maison de vacances sur la plage. A Rio, on m’a beaucoup parlé d’Ubatuba, et j’ai donc accepté le plan qui avait l’air cool.
Gabriela parle français grâce à un séjour étudiant en terre parisienne quelques années plus tôt. Nous passons deux jours ensemble, louons des vélos, et elle m’emmène voir les plages les plus belles que j’aie vu de ma vie. On est sur la route, et on dépose les vélos sur le bas-côté pour s’engager à pied dans un petit chemin qui traverse la jungle. Au bout d’une minute, on débouche sur une étroite bande de sable d’une dizaine de mètres, puis l’océan. Sauf que l’océan n’est pas la plate étendue à laquelle on est habitué en Europe, c’est une « skyline » de petite îles, ou plutôt de montagnes qui sortent de l’eau. Vraiment impressionnant.
Le lendemain, poussé par Gabriela à qui j’ai raconté quelques histoires de voyage, nous tentons notre premier voyage en autostop. Les conditions sont idéales : midi, grand soleil, en couple, trajet relativement court, près de la mer. Un trajet facile pour tater le terrain. Tout le monde dit que l’autostop est dangereux ici, et que personne ne nous prendra. Nous ne tendons le pouce que depuis 10 minutes quand un camion s’arrête. C’est Jorge qui ramène des matériaux de construction pour une route près de Paraty. Ca tombe bien, c’est là que nous allons.
Pendant l’heure du voyage, Jorge parle sans s’arrêter. Il est pour le rétablissement de la peine de mort, voudrait envoyer tous les prisonniers du Brésil sur une île déserte et les laisser survivre là bas, n’aime pas les indiens qui dorment et boivent tout le temps. J’ai voulu lancer un petit débat sur le mariage gay, mais finalement je me suis contenté de laisser Gabriela entretenir la discussion pendant que je prenais des photos.
Toujours est-il que nous sommes à Paraty quasiment aussi rapidement que si nous avions pris le bus.
Jolie ville dans laquelle je teste enfin une spécialité brésilienne : le restaurant au kilo. Un peu comme les magasins de bonbons en France : on prend ce qu’on veut dans l’assiette, il y a de tout et on va peser et on paie un prix fixe par kilo. C’est généralement très peu cher, et surtout bon. Nous devisons sur la possibilité ou non d’ouvrir de tels restaurants en France, avec le côté un peu sacré de la nourriture chez nous. L’idée de mettre au même niveau frites et boeuf bourguignon me semble philosophiquement insupportable. La conversation dévie, comme souvent, sur les variations culturelles entre nos deux pays. Et après ce débat hautement intellectuel, pendant la ballade digestive, sur une jolie plage à la sortie de la ville, Gabriela m’apprend les bases de la méditation. Si tu me lis, sache que j’ai recommencé quelques fois depuis, je crois que je vais m’y tenir.
Et là encore, on commence tout juste à se connaître et s’apprécier qu’il est temps de se séparer. Dans le bus, les adieux sont un peu tristes, il va falloir s’y faire. J’oublie en m’enivrant avec le défilé des milliers de gratte-ciel qui s’ enchainent à mon entrée dans Sao Paulo. 20 millions d’habitants, la ville la plus grande d’Amérique du Sud. Il est environ minuit quand j’arrive à destination. Je sors du bus, m’avance dans le hall et reconnais tout de suite assise sur un banc Joana, la couchsurfeuse qui va m’accueillir pendant les cinq prochains jours…