08. Encarnacion, ville tranquille

08. Encarnacion, ville tranquille

mai 30th, 2013
02. Paraguay

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Les villes américaines, contrairement aux notres, sont construites de manière très géometrique, selon un quadrillage regulier. Les rues se croisent tous les 100 mètres à angle droit, et forment des carrés que l’on appelle cuadras. Laura habite à une dizaine de cuadras de la gare routière soit plus d’un kilomètre. Il est 22 heures, j’ai toutes mes affaires avec moi et malgré la distance, la ville a l’air tellement paisible que je décide d’y aller à pied. J’entends une fille rire dans la rue, et réalise que c’est la première fois que ça arrive depuis le Brésil. Le soulagement…

  Laura, ma couchsurfeuse m’ouvre la porte de son immense loft.DSC00472_1

Elle a à peu près mon âge, est architecte comme moi, et au bout de dix minutes nous sommes déjà de vieux amis. Elle me raconte sa vie ici, l’énorme masse de travail qui l’occupe sans arrêt, les difficultés à faire son métier dans un pays ou l’ingénieur est roi et l’argent fait loi. Pour preuve, elle m’explique comment le centre historique d’Encarnacion a été complètement rasé il y a quelques années pour créer une plage et un quartier touristique. Les populations pauvres ont été déplacées dans une cité au nord, la plage a été construite, le reste de l’argent a été ouvertement détourné et les bâtiments jamais construits. Elle me parle des pots de vins connus de tout le monde, et de l’impunité des dirigeants, une réalité horrible et verrouillée. Son désespoir me touche profondément.

  Le plus insupportable dans les pays du Tiers Monde ce n’est pas la misère, mais l’absence totale de perspective d’avenir de la jeunesse. Des jeunes pleins de rêves et de projets, qui ne demandent qu’à s’épanouir, mais se heurtent à la médiocrité de leurs dirigeants, et surtout à ce système prodondément vérolé qui enfonce tels des sables mouvants ceux qui essaient de se débattre. Je me rappelle avoir eu exactement les mêmes discussions avec la jeunesse éduquée Egyptienne, je me rappelle de cette même frustration, juste un an avant le printemps arabe.

  Nous passons une partie de la nuit à parler, et je me sens coupable de la monopoliser alors qu’elle m’avait dit qu’elle devait rendre un projet. Les deux jours suivants, je la laisse travailler et pars seul en ville. Décidément le Paraguay est vraiment différent du Brésil, car même dans cette ville tranquille je peine à engager des contacts avec les habitants. Les gens sont sympas et serviables, mais je ne parviens pas à tenir quelqu’un plus de dix minutes. Je m’asseois sur un banc public, attendant qu’on vienne me parler, mais rien ne se passe. Les Paraguayens doivent être un peu timides…

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  Le dernier soir, je prends le bus pour Posadas, en Argentine, juste de l’autre côté du fleuve qui sépare les deux pays. J’arrive de nuit, sans peso sur moi. Cette fois-ci mon impréparation me coûte cher car je suis condamné a côtoyer la plus grande espèce de voleur tout pays confondu : les taxis. Pourtant, avec ce jeune gars, tout avait plutôt bien commencé. Un type sympa, de mon âge, qui me raconte sa vie de jeune pro de tennis en Europe avant sa blessure. Sauf que le bougre n’a aucune idée d’où se situe la maison de ma couchsurfeuse, Flor. Evidemment, le compteur est éteint, et il trouve toutes les excuses pour ne pas appeler sa centrale pour l’aider vu qu’il est visiblement entrain de faire sa course au black. Après une heure d’errements et d’énervement, nous arrivons enfin à destination. J’arrive à diviser par deux le prix exorbitant qu’il me demande, mais je me déleste tout de même de 150 000 guaranis (25 €), un aller retour Ciudad del Este/ Encarnacion… Je hais les taxis

  Heureusement que Flor, ma couchsurfeuse est là pour me calmer. Cette porteña expatriée ( habitante de Buenos Aires ) , étudiante en agronomie, hyppie revendiquée, vit dans une ambiance peace&love à la sortie de la ville. Super vibe, de la musique et des gens sympas passent en permanence à la maison. Je rencontre plus particulièrement un colombien, nomade depuis plusieurs années, artisan, constructeur, baroudeur, un peu de tout en fait. Il nous raconte ses voyages, et ses années de prof en Colombie profonde, où il a rencontré les FARCS. Autour de notre guiso ( poulet dans sa sauce aux légumes ) il nous parle de son pays avec amour et lucidité, et j’ai déjà hâte d’y être.

 En attendant, je visite Posadas le dimanche après-midi et me retrouve devant une ville morte. Tout est fermé, pas un chien dans la rue, même pas un café pour pouvoir parler à un retraité qui s’ennuie…QTuiCwFeAYDehZtgBx9t0KOsiqGLDEpAPEnfTnc-qQ4

C’est signe qu’il est temps de reprendre la route. J’arrive de nuit et sous la pluie à la gare d’Asuncion, la capitale du pays. Mon arrivée est des plus remarquées puisqu’en sortant du bus, je glisse dans une flaque d’essence et m’étale par terre devant une bonne centaine de personnes. Après avoir ramassé mon sac et ce qui me reste de dignité, je prends le bus pour Lambaré, la banlieue de la ville. Je suis crevé, je pue, j’ai les pieds trempés, et je dois faire peine à voir avec tout le côté gauche luisant d’essence. C’est dans cet état lamentable que me retrouve Jorge, mon nouveau couchsurfeur pour les trois prochains jours…

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