article précédent : En route vers le Paraguay
Pendant tout mon séjour au Brésil, lorsque j’annonçais dans mes discussions que j’allais me rendre ensuite au Paraguay, les gens me regardaient surpris et me demandaient ce que j’allais bien pouvoir faire là-bas. Pour eux, le Paraguay est une sorte de supermarché géant dans lequel ils se fournissent en voitures et en électronique. L’idée de s’y rendre pour autre chose que les achats leur parait absurde, voire dangereuse. Pauvre petit pays enclavé au milieu de l’Amérique du Sud, méprisé par ses grands voisins, ignoré par les touristes. J’ai toujours eu de l’affection pour les canards boiteux, et un esprit de contradiction un peu trop développé. En arrivant à la frontiere paraguayenne, j’étais déjà certain que j allais aimer ce pays. Le choc n’en n’a été que plus brutal…
Ciudad del Este est de l’autre côté du fleuve Parana, juste en face de Foz de Iguazu. Moins d’un kilomètre séparent les deux villes, et pourtant, de l’autre côté du pont c’est l’apocalypse. Ca grouille partout, des gens, des voitures, des motos, des chiens errants. Un nuage de poussière flotte dans la ville, s’accroche aux vêtements et à la peau. Les bâtiments, quand ils ne sont pas des squelettes de béton laissés à l’abandon, sont couverts de panneaux publicitaires. Depuis la vitre du bus, je vois une prostituée le pantanlon sur les genoux entrain de se laver en pleine rue. Sur le bas côté d’une route, un alignement de tentes misérables, et des enfants presque nus assis par terre pendant que leurs parents font la cuisine à côté des poubelles.
Un autre monde.
J’arrive à la gare routière et Richard vient me chercher. On se fait accoster par un enfant mendiant qui nous demande cinq cent guaranis. Ici la monnaie est très faible, et un euro fait cinq mille cinq cent guaranis. Richard choisit d’en plaisanter : Au Paraguay, on n’a pas grand chose, mais au moins on est tous millionnaires.
Nous arrivons chez lui, il me présente à ses parents et ses six frères et soeurs. Il me propose un téréré, la boisson traditionnelle du coin, une sorte de thé froid amer aux herbes, et nous parlons une heure en sirotant. Je sens la conversation s’effriter au fur et à mesure, et au bout d’un moment plus rien. Autour de nous, la famille vaque silencieusement à ses occupations sans vraiment s’occuper de moi. Sont-ils juste timides, ou est-ce une discrétion inscrite dans la culture paraguayenne ? Nous allons tous les deux faire un tour en ville, mangeons, et à 21h, tout le monde est couché. Richard constate ma surprise, mais m’explique que la nuit à Ciudad del Este, on ne sort pas car c’est trop dangereux. Faute de mieux, je vais me coucher, pensif, après cette étrange première journée.
Le lendemain, pendant que Richard part au travail, je décide d’en profiter pour retourner au centre-ville. Je remonte à pied le chemin que j’ai pris la veille en bus jusqu’à la frontière brésilienne, ou je dois faire tamponner mon passeport. Je pensais que l’espace Shengen était la seule zone ou l’on pouvait passer d’un pays à l’autre sans contrôle, mais il s’avère que c’est possible également ici. C’est probablement la raison à la fois du succès de cette ville qui n’existait pas il y a cinquante ans et qui est aujourd’hui la deuxième du pays et de sa réputation sulfureuse, car elle draine tout ce qui se fait de plus sale et illégal. Je me ballade dans ses rues à la recherche d’un dictionnaire. Il est 16 heures, le soleil tombe déjà, et quasiment tous les commerces ont tiré leur rideau. Devant la plupart des bâtiments, un gardien avec un fusil à pompe. Je m’approche de l’un d’eux pour demander mon chemin, il me regarde quelques secondes, et sans même prendre la peine de parler secoue la tête de gauche à droite. En quittant la rue principale, je constate qu’elles sont à la fois pleines de monde et étonnamment calmes. Les gens marchent vite, ne croisent pas mon regard, ne rient pas. La nuit arrive petit a petit, et je déteste cette ambiance pesante. J’avais déjà trainé dans des coins vraiment misérables au Maroc ou en Egypte, mais c’est la première fois de ma vie de baroudeur que je ressens la tension dans la rue. Je suis un peu flippé, et quand je finis par trouver mon dictionnaire, je décide de quitter cet endroit pourri aussi vite que possible…
Le retour à la maison fait plaisir. Je pars faire des courses avec Richard, et nous mangeons avec sa famille qui m’adopte petit à petit. Je commence à apprécier leur hospitalité humble et discrète. Le fait qu’ils ne changent pas leurs habitudes pour moi, les sourires, le côté presque naturel de ma présence ici. C’est peut-être le syndrome de la famille nombreuse, qui fait qu’un de plus ou de moins ne change pas grand chose. D’ailleurs deux des soeurs de Richard sont les enfants d’une autre mère qui les leur a confié pour les élever dans de meilleures conditions. Autour de notre vori-vori ( boulettes de farines frites avec du poulet ) nous discutons de la journée du lendemain, et de la moto que je vais m’acheter.
« Tu vas a comprar una moto ! » ne cesse de répéter Richard dans la rue, avec le ton de celui qui dit « il va le faire ce con! ». Depuis mon arrivée, je ne cessais de lui en parler, mais il a du penser que je blaguais… J’ai l’intention d’aller visiter quelques concessionnaires avec lui, comparer les prix, marchander, mais le premier vendeur que je rencontre, Mario, sait trouver les arguments pour me convaincre : il me promet d’aller régler tous les papiers avec moi à la mairie, de s’occuper de récupérer la plaque d’immatriculation en mon absence, me fait un rabais, bref, me facilite la vie. Je vais voir pour la forme quelques autres boutiques, mais je sais déjà que je vais revenir… : 4 469 000 guaranis plus tard, soit environ 800 euros ( trois sessions de poker a Curitiba environ hehe), je suis derrière Mario sur la moto qui m’emmène à la maison. Alors que nous roulons, curieux de me connaître, il me demande « para que estas viajando? ». Non pas « porque », pourquoi, mais « para que », pour quoi, dans quel but. J’aime la subtilité. Elle permet de se poser quelques questions sur notre conception occidentale du voyage. Une vision très éloignée de la leur, purement utilitariste. Quand je lui réponds que j’ai juste envie de rencontrer des gens et voir du pays, il continue de rouler quelques secondes puis me propose d’aller boire le téréré chez lui le lendemain après avoir réglé les papiers de la moto.
Du coup le lendemain, il vient me chercher chez Richard, et nous entâmons notre petite ballade matinale en allant à la mairie. Apres un test théorique et pratique très complet comparable à la France, que je passe après avoir révisé toute la nuit… Ah non… Après avoir payé environ 20 euros et pris une photo j’ai le permis de moto qui d’après l’employé de mairie fonctionne dans toute l’Amérique du Sud. A Ciudad del Este, tout s’achète…
Il ne me reste plus qu’à apprendre à conduire haha…
C’est ce que je fais dans la rue en face de la maison de Mario, où il m’a invité à à manger.
Je fais quelques allers retours pour me familiariser au fonctionnement de la bête, et je m’y retrouve rapidement. Apres quelques heures d’entrainement, je suis prêt pour aller jusqu’en Colombie =)
Je rencontre sa femme et une cousine apparemment tres croyante entrain d étudier la Bible, et avec laquelle j’ai ma première discussion religieuse depuis le début du voyage. J’apprends avec horreur qu’en tant que non croyant je vais probablement brûler en Enfer, mais elle me rassure en m’annonçant que Dieu lui a probablement donné comme mission de me convertir ce qui assurerait ma rédemption. Je repense avec le sourire à mon voyage quelques années plus tôt en Egypte où déjà tout le monde essayait de me sauver. Nous mangeons un bon plat, discutons de la France et du Paraguay, et cette fin de séjour à Ciudad del Este me rassure un peu sur le fait qu’il existe des gens biens même dans les lieux les plus sordides… Je finis par quitter tout ce beau monde, car j’ai prévu d’aller à Encarnacion avant la nuit en bus. Je suis encore tout excité d’avoir acheté la moto, mais je dois la laisser dans le garage de Richard, le temps de récupérer la plaque d’immatriculation. Ca me laisse deux semaines pour visiter le Sud du Paraguay, et donner une chance à ce pays qui pour l’instant ne m’a pas montré son meilleur visage…
Mon arrivée à Encarnacion est de bonne augure. Alors que je marche seul, de nuit avec mon sac dans des rues paisibles ou les magasins ne sont pas gardés par des hommes armés et les gens boivent des verres en terrasse, je relache enfin la tension accumulée durant ces derniers jours…
article suivant : 08. De Ciudad del Este à Asuncion
Acheter le livre sur Amazon
Jarrive de Ciudad del Este. Je suis journaliste et j’ai fait ce reportage vidéo. Vous allez comprendre ce qui se passe dans cette ville: http://bloguevoyages.wordpress.com/2014/06/30/le-paraguay-visite-de-ciudad-del-este-choc-culturel/
MBA yhapa, bonjour en guarani, j’ai vecu 1 mois à ciudad del este, le farwest latino,me gusta y me canta, c’est la vrai liberté, je vous conseille de passer et de visiter ce pays et ces gens.